Le manque de diversité dans le monde de la technologie, induit à des produits moins inclusifs au mieux, dangereux au pire.

Le manque de diversité dans le monde de la technologie, induit à des produits moins inclusifs au mieux, dangereux au pire.

Dossier : Diversité dans le monde de la Tech

Prologue

Selon le dernier sondage de Stack Overflow, il y aurait dans le monde de la Tech 5% de femmes, pour 90% d’hommes. Un rapport de 1/18. Près de 80% des personnes interrogées s’identifiaient comme blanc, ou européen. Moins de 5% des sondées ont un handicap ou une invalidité (déficience visuelle, auditive ou motrice). Le profil type du développeur serait donc un homme blanc ou européen valide.

Un monde d’inégalités

Ces inégalités de représentation existent dans plusieurs métiers (à l’opposé, les femmes représenteraient plus de 76% du personnel de santé et près de 70% des professionnels de l’enseignement dans le monde). Mais dans la technologie, elles - inégalités - ont le potentiel de biaiser lourdement la conception des produits. La technologie s’étant immiscé partout dans notre quotidien, ces biais pourraient impacter gravement la vie des personnes surtout dans les domaines sensibles, comme la santé et la justice.

Pour vous en rendre compte, je vous relate une petite histoire.

Les impacts des métiers de la Tech

Aux Etats-Unis, un homme noir a été emprisonné pour un vol commis trois (3) Etats et sept (7) heures de route plus loin de sa position actuelle.

La raison, c’est qu’une intelligence artificielle l’aurait identifié sur les lieux du délit.

La confiance aveugle des policiers dans l’outil technologique au delà même du bon sens l’a envoyé en prison pendant une semaine (temps après lequel la fausse correspondance a été reconnue).

L’origine de l’imbroglio est simple : la reconnaissance faciale marche beaucoup moins bien avec les personnes de peau noir, et les femmes. C’est le résultat de plusieurs études qui prouvent que l'outil n'est réellement efficace que sur les hommes blancs. Cet état des choses n’est-il pas corrélé avec le fait que cette catégorie de la population (les hommes blancs) représenterait près de 70% des professionnels du métier de l’informatique (qui développent et testent cet outil) ?

Ce cas spécifique est loin d'être un phénomène isolé, comme le rapporte le NY Times.

La technologie s’immisce partout.

En approfondissant ce dernier point, beaucoup de systèmes judiciaires dans le monde ont commencé par utiliser sans plus ou moins le déclarer des intelligences artificielles comme aide ou support dans le profilage des suspects potentiels dans les affaires criminelles. Or comme le montre cette enquête du Times, l’intelligence artificielle a tendance quand elle n’est pas modérée a hériter très rapidement des dérives (sexisme, racisme, violence, …) les plus graves de l’humain ; en témoignent Tay, le Chatbot de Microsoft, qui était devenu raciste et négationniste après une journée passée sur Twitter ou Google Photos, dont l’outil de détection automatique étiquetait les photos d’hommes noir avec le label “gorille”. Donc on peut logiquement présumer que ces IA vont accentuer les biais déjà existants. C’est presque une étape obligée ; sauf que cet apprentissage aura des conséquences plus ou moins grave sur la vie des personnes, déjà les plus vulnérables de la société.

Moins de diversité égal des produits moins inclusifs

Il est assez facile de constater que le manque de diversités conduits à des produits moins inclusifs. Si vous aviez un doute, qu’Apple ait attendu la treizième déclinaison de son système d’exploitation mobile (iOS 13) pour inclure nativement un système de traçage des menstrues pour les femmes devrait finir de vous convaincre ; en même temps, c’est pas comme si les femmes représentaient près de la moitié (43%) de son marché.

Néanmoins je comprends les développeur·ses car j’en suis un. Il arrive de mettre en place des fonctionnalités qui ne sont utiles qu’à nous même ou aux gens qui nous ressemblent. C’est ce que j’appellerais le biais du développeur : cette tendance à penser que les utilisateur·rices finaux des solutions nous ressembleront et ont les mêmes aptitudes que nous face aux outils technologiques.

C’est ce même biais qui fait oublier aux développeur·ses que près d’une personne sur trente (1/30) dans le monde présente des déficiences visuelles. Résultat, à peine 10% des sites Web dans le monde sont accessibles. Je reste persuadé que ce chiffre serait meilleur, si dans chaque équipe de développeur·ses, il y avait une personne avec une déficience visuelle.

Les femmes dans la Tech

Dans un domaine aussi vaste et diversifié que les métiers de la technologie, que les inégalités de genre persistent c’est presque inexplicable. Presque. Parce qu’en fouillant un peu, les explications on les trouve facilement. Prenons le cas particulier du développement des logiciels informatiques.

  • Une barrière à l’entrée : est ce l’image du geek, ou un discours décourageant entendu trop tôt… Moins de femmes choisissent les formations en école, en reconversion ou en autodidacte dans les métiers du développement et de l’ingénierie plus globalement. Et on pourrait penser que ce chiffre est en augmentation, mais pas vraiment.
  • Un manque de représentation : avec moins de 5% de femmes dans les métiers de développement, cela fait 95% en moins de représentation, ce qui alimente le cercle vicieux.
  • Un milieu d’homme : c’est un constat. Les femmes développeuses reçoivent moins de promotions que leurs homogènes masculins. L’environnement leur est plus toxique et s’ajoute la difficulté supplémentaire de jumeler le travail, avec la vie de femme.

Ça ce n’est pas moi qui le dit. Etant un homme, je n’ai jamais ressenti ce sentiment de ne pas être à sa place. J’ai préféré demander aux femmes que je côtoie ou que j’ai côtoyé, dans mon parcours, pour leurs retours d’expérience.

Retour d’expériences

Esther Kangbiete : Ingénieur logiciel | Chef de projet Esther Kangbiete

Concernant mon expérience en tant que femme évoluant dans une carrière IT, je peux parler de 3 points: Ce que cette carrière m’apporte, les défis auxquels je fais face et comment je travaille à les relever au quotidien.

Le milieu IT étant sans cesse en évolution offre beaucoup d’opportunité (surtout pour les femmes qui y sont très rares). Pour tout vous dire depuis que j’ai commencé à travailler, je me suis toujours retrouvé la seule femme développeur dans tous les environnement. Le premier défi que je pourrai citer est le fait qu’on doit sans cesse prouver qu’on mérite notre place en tant que femme dans ce milieu. On reçoit souvent des pics, on veut tout le temps remettre en question nos compétences ou attribuer nos succès au fait qu’on est une femme, ce qui peut être très frustrant.

Le deuxième défi que j’ai vécu est qu’on a l’impression que pour survivre dans ses environnements, il faut “devenir un homme” pour ne pas se faire écraser (ce qui peut s’avérer être une erreur).

Le troisième défi est que c’est un domaine très exigeant en terme de résultats et de temps. Ce qui fait que ça peut être très compliqué de jumeler sa carrière et ses responsabilités de femmes lorsqu’on descend très tard du boulot, qu’on cherche toujours à débugger un code le week-end, on peut facilement se sentir surmener.

C’est tout un combat pour trouver un équilibre mais par la grâce de Dieu aujourd’hui j’y parviens. Plusieurs éléments m’ont aidé à gérer ses défis.

  • La première chose a été ma foi en Dieu (je comptais sur lui pour me donner la capacité de bien gérer tous les domaines de ma vie tout en étant équilibrée).
  • La seconde chose à été de beaucoup lire et suivre des cours sur la gestion du temps et la productivité et appliquer les clés au quotidien.
  • La troisième chose très libératrice a été de prendre conscience que j’avais ma place dans ce milieu et avait une contribution à y apporter. Je ne me préoccupe pas de ce que les gens diront mais des résultats que j’obtiens.

Je ne me compare plus à un homme, je ne cherche pas être un homme parce que je suis dans un milieu masculin parce que la différence ça apporte une perception différente, une nouvelle saveur, ce qui est un plus. Je ne suis en compétition qu’avec moi même et je m’évalue uniquement en fonction de cela.

Sémiat Oyénikè OLAÏTAN - Développeuse d'applications Web Sémiat Oyénikè OLAÏTAN - Analyste de données

Quelques minutes on suffit pour choisir de faire l’informatique. Il arrive quelques fois de se demander si l’on n’a pas fait le mauvais choix mais on se rappelle que c’est par amour, par passion que nous le faisons.

De mon expérience, l’informatique n’est plus autant vu comme un métier d’homme. La plupart des personnes ont changé de mentalité et il y a de l’encouragement de gauche à droite pour nous femmes. J’ai vu des hommes et des filles commencer mais n’ont pas tenu par manque de passion. Le suivisme ne fait l’informatique c’est l’amour pour le domaine qui le fait.

Solange ETSE - Étudiante en Bachelor système d'information Solange ETSE - Étudiante en Bachelor système d'information

Déjà, en première année nous étions 5 filles, 5 garçons, la différence ne s’est vraiment pas fais ressentir, mais en deuxième année nous n’étions plus que 3. J’ai commencé par ressentir de la différence, je me sentais un tout petit peu isolé. J’avais l’impression que les garçons avaient un niveau de compréhension plus rapide par rapport à moi ; l’impression de m’être trompé de filière…

Mais un beau jour, je me suis dis : ce sont mes camarades et s’il y’a un truc qui cloche dans les cours c’est à eux je devrais m’adresser premièrement. J’ai fait le premier et je n’ai pas regretté cela. Les autres étaient prêts à m’aider tant qu’ils trouvaient de la motivation chez moi,. Même dans les quelques moments de découragement, mes camarades étaient toujours là. Je me suis sentie utile pour eux, et déjà cette différence que je ressentais avait disparu. Le domaine de la technologie est un domaine où on pourrait compter plus sur les filles, mais cela dépends aussi de l’environnement dans lequel elles sont placées. Avoir assez de garçons autour de moi, me booste à donner le meilleur de moi même et à me démarquer d’eux. Faire partie des communautés, comme celle de TDev m’as aussi beaucoup aidé à prendre conscience de mon importance et du rôle que je pouvais jouer dans la Tech.

Fidèle NIKABOU - DESIGNER UI/UX - DÉVELOPPEUR FRONT END Fidèle NIKABOU - DESIGNER UI/UX - DÉVELOPPEUR FRONT END

Cela peut paraître drôle, mais je n’avais jamais rêvé me retrouver dans le domaine informatique après mon BAC. C’est une option qui s’est présentée à moi lorsque je n’avais plus de choix et que je n’avais pas été retenu dans les filières pour lesquelles j’étais intéressée.

Mais aujourd’hui je ne regrette pas d’avoir continué. J’ai eu beaucoup de chance grâce à mon entourage qui m’a poussée, parce que je ne suis pas sûre que cette option m’aurait été proposée sinon.

Dans l’université dans laquelle j’ai étudié, qui était assez technique, on devait être moins de 20% de femmes. Certaines ont abandonné dès la première année, mais je suis restée parce que je me suis découvert une passion pour le design d’interface graphique et le management de projet. J’avoue que si on n’a pas une grande passion pour cette profession en tant que femme, c’est très dur de rester dans le secteur informatique ou des technologies en général.

Personnellement, je ne me sens pas différente en tant que femme dans le domaine informatique ou des technologies (ou femmes développeurs). Lorsqu’on est la seule femme (ou qu’on fait partie de la minorité), on est de facto plus remarquée. Cela m’a souvent servi pour attirer cette attention et la transformer de manière positive et concrète pour mon travail de développeur. Les gens te remarquent et c’est difficile de t’oublier donc, tu as le devoir de t’imposer de par ton assiduité, ton excellence, ta rigueur et ton sens du travail bien fait, parce que je n’écris pas du “code féminin”, j’écris du code tout simplement. Et c’est ce que je m’encourage à le faire chaque jour.

Je n’ai pas le sentiment d’avoir rencontré de freins extérieurs dans mon éducation ou dans mon travail actuel. Être une femme m’a même parfois été bénéfique parce que j’étais plus visible parmi beaucoup d’hommes. Mes freins ont plutôt été intérieurs, j’ai souvent eu du mal à être ambitieuse quand je me lançais dans un nouveau projet par peur de l’échec. Et c’est cette barrière de perfection que je m’efforce de briser chaque jour.

Rebecca TABOUKOUNA - Développeur mobile , Ingénieur Flutter

La Technologie n’est pas faite que pour les “hommes”. L’on remarque un nombre de plus en plus croissant de femmes dans le domaine des Technologies. De par mes expériences et me retrouvant souvent seule “la seule femme” parmi les développeurs sur des projets informatiques, je dirai que la responsabilité m’était donné de m’affirmer et de faire valoir mes compétences technologiques et démontrer que je suis capable au même titre que les hommes.

Il y a beaucoup de femmes qui pourraient faire un travail incroyable et exceller dans les domaines des technologies si seulement elles en avaient la possibilité et recevaient l’accompagnement nécessaire. Je pense qu’il devrait avoir plus d’organismes ou d’actions qui visent à encourager et promouvoir la formation des filles dans le domaine des technologies. On devrait parler d’avantage aux filles sur les types de carrières que leur offre le domaine de la technologie, pour susciter leur intérêt. Presque tous les emplois de l’avenir incluront une utilisation accrue de la technologie. C’est pourquoi il est si important que les filles participent à l’évolution technologique.

Raissa (sasa) Tepe - Analyste programmeur, Développeur WinDev Desktop & Mobile, Designer Graphique Raissa (sasa) Tepe - Analyste programmeur, Développeur WinDev Desktop & Mobile, Designer Graphique

Je m’étais lancée dans le monde de l’informatique par pur hasard. Les débuts, particulièrement étaient difficile pour moi. Car n’ayant pas accès permanemment à l’internet, je manquais de beaucoup d’information et de recherche. Parfois j’avais l’impression d’être moins intelligente que les autres qui semblaient tout comprendre. Mais avec le temps j’ai pu rentrer dans le bain. Je ne peux pas nier que mes camarades de promotions ont été d’une grande aide. Le monde de la technologie, de l’informatique est un milieu présumé encore essentiellement d’hommes. C’est donc un sentiment de fierté qui m’anime lorsque je constate que j’arrive à concourir dans ce monde. Ce n’est pourtant pas évident de prouver qu’on a les aptitudes qu’il faut, quand on est femme dans le milieu de la technologie avec les nombreux préjugés existants. Les entreprises sont souvent à la recherche de personne, capable de résister sous la pression, de faire des heures supplémentaires et de faire un bon rendement. Se basant sur ces critères, ils ont tendance à prioriser le recrutement d’hommes que de femmes, ce qui est subjectif selon moi.

Personnellement je ne doute pas que les femmes soient novatrices et plus appliquée que les hommes. Bientôt il y aura beaucoup plus de femmes dans ce domaine plus qu’on ne l’imagine ; le monde de la technologie est tellement fascinant et vaste. Il suffit de trouver sa place et ce qui nous passionne le plus dans ce secteur. Quand la passion s’y mêle ça devient encore plus intéressant.

Quand on a l’occasion de faire partie d’une équipe composée majoritairement d’hommes et qu’on arrive à assurer, on ne peut que s’en glorifier. Certaines rencontres aussi contribuent à changer radicalement et de manière positive, notre appréhension de ce domaine.

Aujourd’hui, c’est un risque de ne pas avoir un peu de connaissance en ce qui concerne la technologie. C’est carrément pénalisant. Donc pour nous qui s’y retrouvons, ce n’est pas du tout de regret. Si j’ai un mot pour la gente féminine, ce serait de ne jamais abandonner et d’aller toujours de l’avant. Car il s’agit d’un domaine très vaste et chacune peut trouver sa place. Un domaine qui est intrinsèque aux autres domaines et qui a de l’avenir. Il reste des sentiers non battus. Comparativement même aux pays dans lequel on se trouve à d’autres, on ne peut qu’affirmer qu’il y a du boulot.

Un autre point à ne pas négliger, c’est qu’il s’agit d’un domaine en perpétuel évolution. Il faut donc souvent faire des recherches, s’informer, étudier et analyser. Sinon c’est un domaine très enrichissant qui m’a formé à porter un autre regard sur la résolution de problème courant de mon quotidien. Il est clair que ma manière par exemple d’entamer un business serait nettement différent de quelqu’un qui n’aurait pas fait l’informatique, ou qui ignore les nombreux avantages que la technologie lui offrirait pour booster son business.

Je conclurais en disant qu’il me reste encore beaucoup à apprendre, et que malgré les pressions, le manque de foi de la société en la capacité de la femme à évoluer et à aller très loin dans le monde de la technologie, les meilleurs choses restent à venir.

Posititude

Ce dossier n’a pas la prétention de participer à la résolution du problème. Ce sont des problématiques aussi vieux que le monde et les solutions semblent devoir être systémiques.

L’important c’était de dresser l’état des lieux. Chacun pourra lire et se faire son avis. Dans ce sens n’hésitez pas à partager cet article dans votre milieu ; le premier pas c’est la prise de conscience.

En attendant, on peut chacun au quotidien participer à créer des environnements plus inclusifs ; ce qui induira à de meilleurs produits.

Kokou AGBAVON
Kokou AGBAVON Software engineer from Togo. Humanist. Africa future optimist. Child of internet.