Start-up Edition : Miser sur les petits exploitants et la technologie pour atteindre l'auto-suffisance alimentaire.
Préambule
L’auto-suffisance alimentaire reste l’un des défis majeurs du continent africain. Pourtant :
- L’Afrique abrite 60 % des terres arables de la planète.
- Le secteur agricole emploie plus de 40% de la main d’œuvre totale du continent.
Mais, en 2019 le continent a importé pour plus de 81 milliards de denrées alimentaires.
La startup nigériane @ThriveAgric, fondé par Uka Eje est entrain de se donner les moyens (et aux populations africaines) d’atteindre l’auto-suffisance alimentaire.
Nous vous amenons à la découverte de leur success-story.
Problématique
En 2019, L’Afrique comptait environ 1 119 millions d’hectares de terres agricoles (40 % de la superficie totale du continent). Cela correspond à 60% des terres arables de la planète. Le secteur agricole est également celui qui emploie le plus sur le continent, avec en pourcentage plus de 40% de l'emploi total.
Même si la dépendance de l’Afrique (subsaharienne) aux importations de produits alimentaires est un phénomène largement surestimée, le continent mère est encore loin de ses objectifs d’auto-suffisance alimentaire.
L’Afrique a le potentiel de répondre non seulement à ses propres besoins alimentaires, mais aussi à ceux du reste du monde.
Approche de la startup
Think global, act local.
Défis
Ayant grandi dans une communauté agricole au Nigéria, Uka Eje, le créateur de @ThriveAgric s’est très vite passionné pour l’agriculture. Il a d’abord travaillé pendant quatre (4) ans, dans une entreprise sociale qui fournit aux communautés agricoles les moyens de relever les défis du quotidien. C’est en 2016 qu’il commence par réfléchir à lancer une entreprise, avec l’objectif d’améliorer les conditions de vie des petits exploitants.
@ThriveAgric sera créée en 2017 et deviendra pleinement opérationnelle en 2018.
Deux facteurs clés déterminent la raison d’être de @ThriveAgric.
- Le secteur agricole représente 20 à 40% du PIB du continent. Pourtant, il est sous-financé (seulement 3% des crédits bancaires lui sont alloués).
- Les petits exploitants agricoles représentent 80 à 90% de la production totale du continent.
La solution pour construire l’auto-suffisance alimentaire doit donc passer par les petits exploitants agricoles. Ceux :
- qui ont généralement moins d’un hectare de terres ;
- dont la production est sous-optimisée ;
- qui ont difficilement accès aux matières premières (semences, engrains, intrants, produits agro-chimiques) et aux financements ;
- qui ont une difficulté d’accès aux marchés (pour écouler leurs récoltes).
Pour compléter sa formation et son expérience initiale, Uka Eje s’est inscrit à des cours de production alimentaire à l’étranger.
Transformation par la technologie
Thrive Agric a opté pour la transformation par le numérique. Au fil des années et des expériences, ils ont mis en place une gamme complète de solutions technologiques agricoles, pour permettre aux agriculteur·rices d’optimiser leur productivité et leur rentabilité.
L’objectif étant de joindre la technologie au réel, pour offrir aux exploitants agricoles et à tout l’écosystème autour, une gamme de services à moindre coût mais à forte valeur ajoutée. Ainsi tout le système est conçu pour fonctionner en hors ligne, avec lorsque nécessaire une synchronisation des données avec les serveurs. Egalement les différents interlocuteurs (collaborateurs @ThriveAgric, exploitants agricoles) communiquent aux travers de codes USSD qui alimentent les applications Android utilisées par les agents de terrain. C’est ainsi que sont communiqués numériquement les données des agriculteurs, leurs parcelles de terre et l’évolution de leurs semences.
Etapes
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Recrutement
La ressource la plus importante de la startup, ce sont les agriculteur·rices. Il faut donc bien les choisir et leur fournir les informations nécessaires pour obtenir leurs adhésions au programme. Pour cela, les collaborateur·rice·s de la société se rendent au début de chaque saison agricole auprès des responsables des communautés agricoles locales. Il·elle·s leurs exposent les objectifs de la startup et les solutions et bénéfices pour les agriculteur·rices.
La première étape de l’intégration des agriculteur·rices favorables consiste à recueillir leurs données (nom, lieu, sexe, photos, …). Il·elle·s sont ensuite rassemblé·e·s en plusieurs groupes par communauté et un·e chef·fe de groupe leur est affecté. Le rôle du·de la responsable de groupe est d’assurer une meilleure gestion, une formation et de faire le lien plus facilement entre les groupes d’agriculteur·rices et les collaborateur·rice·s.
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Intégration
Chaque agriculteur·rice enrôlé·e passe ensuite par un processus ou sa ferme est cartographiée et ses informations répertoriées. Cette étape permet notamment de déterminer l’étendue et les coordonnées, de chacune de ses terres agricoles. A partir de ces données et d’autres comme la texture du sol, la pente, et la proximité de l’eau, les collaborateur·rice·s peuvent estimer la viabilité de la ferme et proposer des solutions et techniques agricoles adaptées. Cette étape permet d’établir des plans personnalisés de financement, d’agriculture et de commercialisation des récoltes.
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Financement
Les informations recueillies lors de deux étapes précédentes permettent à la start-up de calculer pour chaque agriculteur·rice en fonction d’un facteur de solvabilité, les financements à lui attribuer. Ces financements sont redistribuées aux exploitants par l’intermédiaire des responsables de groupe.
Ils peuvent prendre différentes formes :
- Semences améliorées ;
- Engrais ;
- Produits phytosanitaires (protection des cultures) ;
- Et autres types d’intrants.
Les bénéficiaires ne reçoivent pas ce financement directement en espèces.
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Surveillance
Après la réception des intrants, commence la culture. Des agents de terrain sont alors chargé·e·s, de parcourir les plantations des groupes d’agriculteur·rice·s affiliés, pour :
- Donner des conseils personnalisés ;
- Garantir le respect des meilleures pratiques basées sur les données recueillies au préalable ;
- Suivre les progrès jusqu’à la récolte.
Entre autres, ces agents prennent des photos des plantations, enregistrent les dates de plantation et d’application des engrais. Une trace est alors gardée de toutes activités importantes tout au long de la saison agricole.
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Récolte
Lorsque vient la période de récolte, tou·te·s les agriculteur·rice·s reçoivent les matériaux requis pour la collecte des récoltes. Les produits issus de cette récolte sont ensuite reçus, enregistrés, traités et stockés par les collaborateur·rice·s de @ThriveAgric dans des entrepôts spécialement conçus à cet effet.
Les financements reçus sont alors remboursés sous forme d’équivalents calculés sur la valeur au marché des différentes types de récoltes. Ces montants sont définis préalablement au moment de la réception des intrants. Le reste de la récolte constitue alors le profit de l’exploitant agricole qui lui sera versé sous forme de paiement monétaire.
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Inventaire & Écoulement
Après ces différentes étapes commence une autre non moins périlleuse. Même si les produits sont stockées dans les meilleures conditions garantissant leur pérennité, ils ne peuvent l’être indéfiniment. Le jeu subtil de l’évaluation de l’offre concurrente actuelle et de la demande débute, pour permettre de ne pas saturer le marché et de vendre les récoltes au meilleur prix.
En évaluant le meilleur timing, les produits seront écoulés essentiellement auprès des marchés locaux et mondiaux avec lesquels la société a nourri au fil des années des relations.
Point de bascule
L'enfer est pavé de bonnes intentions.
Dans chaque success-story, il y a un point de bascule qui aurait pu la faire basculer vers une histoire plus tragique.
Avant d’obtenir en mars 2022 un financement de série A, la start-up faisait appel à des investisseurs particuliers pour financer ses projets agricoles.
C’est une pratique courante, qui permet de recueillir des mini investissements de plusieurs particuliers pour les start-up en attente de financement. Ces investissements étaient limités dans le temps, et remboursables à la fin de la période avec un intérêt. A titre d’exemple, un particulier qui investissait 500.000 Naira (1090$) sur 6 mois percevait un intérêt autour de 15% à la fin de la période.
L’impact de l’épidémie de Coronavirus
Cette période trouble s’étend donc du début des activités en 2018 vers la fin d’année 2020. L’épidémie de Coronavirus a bouleversé l’économie mondiale et entraîné de nombreux changements structurels. A cause de la récession économique qu’elle a entraîné :
- Les commandes avaient fortement diminués et les récoltes étaient bloquées dans les entrepôts ou dans les camions sur la route ;
- Les acheteurs ne pouvaient plus payer les marchandises déjà livrées par la start-up.
- L’entreprise n’était pas en mesure de reverser aux exploitants agricoles et aux investisseurs les fonds convenus dans les délais.
Cette période a entraîné une vague de mécontentements des investisseurs particuliers (une centaine) qui ont alors utilisé les réseaux sociaux pour exprimer leurs désarrois et dénoncer les agissements de @ThriveAgric. Cette dernière était bloquée entre les promesses des acheteurs, le mécontentement des investisseurs particuliers et le désespoir des exploitants agricoles. L’entreprise a fait face à une vague de dénigrement sur les réseaux sociaux, des poursuites judiciaires, et des pertes cumulées estimer à une centaine de millions de Naira (222.000$).
Remonter la pente
Pour inverser la situation, @ThriveAgric a fait appel à Adia Sowho pour prendre momentanément les reines de l’entreprise. Son expérience a permis la restructuration de l’équipe, des finances et des communications.
Elle s’est attelée à redresser les trois piliers d’une entreprise qui réussit selon les enseignements tirés de son parcours : la structure, la gouvernance et la documentation. Avec l’initiateur du projet Uka EJE, elle redéfini la structuration du plan de financement pour le remboursement des investisseurs particuliers.
Autre chantier, le recrutement de certains profils clés qui manquaient dans la structure de la société. Notablement ont été embauchés un responsable des risques et un directeur financier. Ces personnes n’ont pas hésité à rejoindre l’entreprise alors que dans le même temps elle se faisait incendier sur les réseaux.
Avec les idées fraîches des nouveaux employés, le sacrifice des anciens, la dynamique négative a été renversée.
L’appui financier temporaire fourni par Ventures Platform (principal VC de la start-up), et en utilisant le prêt-relais garanti, @ThriveAgric a été en mesure de rembourser les centaines de clients à qui elle devait sur une période de 9 mois. La start-up a également pu remboursé le prêt relais en 2021, et depuis elle est redevenu stable.
La bouffée d’oxygène est venu en mars 2022 avec la première série de financement à hauteur de 56,4 millions de dollars qui devrait permettre à @ThriveAgric de s’étendre à plus de régions au Nigeria et à d’autres pays en Afrique (dont le Ghana, la Zambie et le Kenya).
Arikawe, CTO et co-fondateur de @TriveAgric, raconte cette période.
Notre directeur financier nous a rejoint et 2 jours plus tard, il est sur un appel où les investisseurs l’insultaient. Un incident similaire s’est produit avec Adia Sowho, qui a rejoint et une semaine plus tard, 300 personnes en colère ont passé un appel Zoom avec elle. Tout le monde était surmené mais nous avions beaucoup d’empathie pour les gens et aussi un sens des responsabilités pour nous assurer que les choses ne tournent pas mal à nouveau.
Impact & Réussites
@ThriveAgric c’est aujourd’hui :
- 500.000 exploitants agricoles répartis dans 2600 communautés distinctes et 20 États du Nigeria ;
- 400.000 hectares cultivés ;
- 9000 emplois créés ;
- 450 entrepôts pour les récoltes.
En dehors du soutien et du financement de Ventures Platform Capital, @ThriveAgric est également épaulé et conseillé par l’incubateur de start-ups Y Combinator.
Ils ont été récompensé de plusieurs prix pour saluer leurs initiatives dont les plus marquants sont :
- Le prix 2018 Young African Leaders Initiative.
- Le prix en 2021 par l’Africa CEO Summit de la start-up la plus prometteuse d’Afrique.
Conclusion
@ThriveAgric est décidément sur la bonne voie. Au cours des 12 derniers mois, ces revenus ont quintuplé, et elle a enregistré une augmentation de 277 % du nombre d’exploitants agricoles. Ces exploitants témoignent d’une croissante de leur récolte de 2 à 10 fois la valeur qu’il·elle·s enregistraient avant l’enrôlement dans le programme.
Le défi reste grand. Mais le chemin pour y arriver est clair.
Si on permet aux agriculteur·rice·s :
- d’avoir le capital ;
- de bénéficier des meilleures pratiques agricoles et des techniques modernes ;
- d’écouler leurs récoltes sur le marché à des prix compétitifs ;
Alors on pourra : construire une Afrique qui se nourrit et nourrit le monde.
Avec une ambition d’avoir 15 millions d’agriculteurs dans 10 pays d’Afrique d’ici 2030, la société espère participer à l’atteinte par l’Afrique de ses objectifs à longs termes dont :
- La réduction du taux de pauvreté et de la faim ;
- Participer à l’équité des genres en encourageant la participation des femmes au programme pour atteindre un pourcentage minimum d’une femme sur 3 exploitants agricoles.
- Augmenter l’employabilité en milieu rural ;
- Favoriser l’industrialisation, l’innovation et la construction d’infrastructures pour offrir des solutions agro technologiques de pointe aux exploitants agricoles ;
- Favoriser une production et une consommation responsable ;
- Réduire les importations de denrées alimentaires de l’Afrique.
L’Afrique est grand (ne vous fiez pas aux map monde). Une seule start-up ne saurait relever ce défi. D’autant qu’en examinant les objectifs d’expansion de @ThriveAgric, ils se limiteront à l’Afrique anglophone avec des pays à fort potentiel économique comme le Kenya, le Ghana, la Zambie ou encore l’Afrique du Sud.
Espérons que naîtra d’ici un horizon proche en Afrique francophone une solution similaire. Car selon les derniers recensements, une vingtaine de pays sur les 54 que compte le continent ont plus de 50% de leur superficie exploitable comme terre agricole.
Merci de m’avoir lu, sur un sujet qui me tient à cœur. On se retrouve bientôt, pour une autre startup édition ; et je reste très ouvert pour les conseils, reproches et apports sur ce nouveau format.